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La vie, Linux, la tartiflette...

Du canapé à l'ultra-trail

La semaine passée, j'ai couru un ultra-trail de plus de 100km en 14h.

Si la course à pied sur de longues distances est une de mes passions actuelles, quand je sortais des études, je n'étais pas spécialement sportif. La combinaison d'un salaire régulier et de peu de frais fixes m'a amené à profiter de nouveaux loisirs sains tels que prendre un apéro tous les soirs ou manger à l'extérieur régulièrement. Si vous ajoutez à cela, une voiture de société (merci la Belgique et ses voiture-salaires) et une vie sédentaire de développeur, très rapidement, j'avais pris 10kg.

Commencer

Un jour, un colocataire me propose d'aller courir dans le village, un petit tour de 8km. Je couperai avant la fin. Peu de temps après, je m'achète un podomètre et rejoins le club de course à pied du village. Je me lance un défi pendant quelques mois : ne boire que les jours où j'ai fait du sport. Je ne sais pas si ça a eu un gros impact sur ma consommation de bière, mais j'ai commencé à aller travailler en vélo. Et puis la pente fatale…

  • Oui je cours, mais juste des joggings de temps en temps
  • J'ai réussi à faire les 20km de Bruxelles ! Pas facile les longues distances...
  • Ah c'est ça le trail ? Et on est supposé le faire en courant ?
  • Oui, je fais des trails maintenant, mais des courtes distances, pas comme un marathon
  • Objectif atteint : un marathon en moins de 4h ! Bon y a plein de gens qui font des marathons, c'est pas comme un ultra-trail
  • C'était difficile ce trail de 50km quand même
  • ...

À ce stade-là, je commençais à me connaître suffisamment pour savoir que je n'allais pas m'arrêter là…

On ne se lève pas un beau jour en se disant "si j'allais courir une centaine de kilomètres". On ne naît pas non plus avec un talent pour courir (ni pour écrire, dessiner, danser,...). Je n'ai jamais été le genre de personne à faire 15h de sport par semaine. Cependant, je cours régulièrement depuis 10 ans. Je fais en général 3 entraînements par semaine, rarement plus d'une heure et roule un peu à vélo. Est-ce que je progresserais plus en m’entraînant plus ? Certainement, mais ça reste un loisir, je veux garder un équilibre avec ma vie sociale. Et je n'ai toujours pas arrêté les apéros (sauf quelques semaines avant les courses). Si j'aime suffisamment courir pour ne pas devoir trop me forcer à sortir, continuer à progresser demande un effort sur le long terme. Avec le temps, les entraînements ont gagné en intensité (plus rapides, des accélérations en côte, etc.) mais peu en fréquence ou en durée. L'on va augmenter progressivement les objectifs, pousser la limite un peu plus loin à chaque fois. À la difficulté physique s'ajoute l'aspect psychologique : il serait tellement plus simple de continuer à faire 10km de temps en temps. Je continue à progresser mais jusque quand ?

Si améliorer ma vitesse reste un des objectifs (je suis maintenant à 1 min du marathon en moins de 3h), avec l'allongement des distances, le chrono est aussi devenu moins important. Le fait de faire mieux est une notion floue, chaque course vient avec sa distance, terrain et météo. S'ajoute toute une série de critères assez subjectifs : prendre du plaisir, admirer le paysage, mieux tolérer l'alimentation, avoir une meilleure récupération,… Dans le trail, la compétition est moins mise en avant, l'objectif est de se dépasser, pas de battre un concurrent.

Into the Woods

À force de faire des courses de plus en plus longues, j'ai participé à Into The Woods Trail. C'est une petite (en organisation, pas en kilomètres) course familiale à Beauvechain. Le parcours consiste en une boucle d'un peu plus de 21km, départ samedi 10h du matin, gong de fin dimanche 10h du matin. Chacun est libre de faire autant de tours qu'il veut en 24h, en autonomie alimentaire. Chacun essaye de se surpasser à son rythme : certains décident de faire des pauses minimales, d'autres de dormir entre deux tours. On fait un signe à l'organisateur quand on part et quand on arrive pour qu'il note l'heure dans un tableur. Pas de puce GPS de suivi ou de chronométrage électronique, avec 36 participants, on est loin des grandes organisations.

Je me force à partir lentement, on est là pour la durée. Premier tour en 2h16, encore un peu trop rapide. Après un quart d'heure de pause pour manger un morceau, je repars pour le deuxième. Au moment de remplir ma poche à eau, je remarque une fuite ! Heureusement, j'en ai une de rechange, il fait plus de 20° et je bois 1L-1,5L par tour. Pendant le deuxième tour, je discute avec un français. Il est venu en Belgique juste pour cette course. Il y avait déjà participé l'an passé mais avait dû abandonner suite à un problème digestif, les organisateurs l'avaient hébergé le temps qu'il se remette. Second tour en 2h25, mieux. Après l'équivalent d'un marathon, les jambes chauffent et les muscles commencent à se faire sentir. Une tartine et quelques pâtes plus tard, on repart. À 6km de la fin, j'essaye de boire dans ma poche à eau pour constater… qu'elle est vide ! Dans la précipitation, je n'ai pas bien vérifié et ne l'avait remplie que d'un litre. J'ai heureusement bien bu jusque là, je peux finir mon tour à sec sans risquer la déshydratation. À la fin du troisième tour (2h30), je change de paire de chaussures pour une paire plus ample, pour éviter de trop martyriser mes orteils par les chocs répétés dans les descentes. Une plus longue pause plus tard (1/2h), j'entame la boucle des 80km, non sans avoir vérifié deux fois ma réserve d'eau. Ce sera la boucle la plus difficile, je suis tout seul quasiment tout le long, les kilomètres se suivent et se ressemblent. Je commence à bien connaître ce parcours, le moral en prend un coup. À l'arrivée, mon entraîneur m'attend. On discute un peu en mangeant et on part à deux pour le cinquième tour. Je suis troisième au classement temporaire. On passera tout le tour seuls, sans croiser personne. À ce moment, la nuit tombe et l'on doit rapidement allumer nos lampes. C'est agréable de faire un tour accompagné, le temps passe plus vite. Arrivé au camp de base, il est passé minuit, les ⅔ des participants ont déjà arrêté et je croise juste les organisateurs en train de regarder la TV. Si le tour accompagné a fait du bien au moral, je décide quand même d'en rester là, après 108km et 14h20, record battu.

J'aurais probablement pu arracher un tour de plus mais aurais fini dans la douleur. Il faut encore replier la tente et conduire jusque la maison. Et puis, c'est ça aussi la difficulté de cette course : à chaque tour, on s'interroge si l'on re-signe pour 3 heures d'effort. Il est si facile d'arrêter à tout moment. En paix avec ma conscience et non moins soulagé, je signale la fin aux organisateurs. Une médaille et une poignée de main plus tard, je me retrouve à nouveau seul. On est loin des bruyants marathons urbains. Il est passé deux heures du matin quand je m'effondre dans mon lit. Demain, mes muscles me feront payer ce que je leur ai infligé. Il n'est pas l'heure pour penser à ça ou à la suite.

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